Memories /Libre/

Il était une fois

Un rêve comme une bulle de savon porté par un courant d'air, celui la même qui la fait fuir et revenir, une vague de souvenirs, et l'esprit tel un écrin, il revient. Même si elle croit à la magie, elle sait que le songe qui se dessine dans sa mémoire ne reviendra jamais dans cette vie si cruelle que l'on nomme

réalité

peu importe ses efforts discrets pour l'appeler.
Le panier pend à son bras et ses cheveux ont foncé. C'est une femme à la peau cicatrisée qui se demande si elle n'a pas rêvé.

Mais bien sûr qu'elle a rêvé c'est pour cela qu'elle est ici... dans la mauvaise ruelle.

Non, ce n'est pas elle. Ce n'est pas celle où elle s'est perdue des années auparavant. Tsel est un tel labyrinthe que l'on pourrait si tromper mais son coeur est formel et chuchote.

Pas ici.

Un flocon de neige tombe sur sa joue et c'est le doigt d'un ange qui lui demande à mi voix. Souviens toi. Ferme les yeux. Ecoute. Même la neige parle. Même le flocon chuchote quand il glisse à terre. Pour toi. Milles histoires. Elle a

-tend l'oreille

mais rien, ce n'est que le murmure du vent et non l'éclat de rire d'un enfant dont les paumes tournées vers le ciel laissent échapper mille papillons des étoiles, mille lucioles fascinantes.

Il y a de la neige qui craque sous ses pieds et des fruits différents dans son panier. Sa robe a changé, son visage se lève et les bâtiments ne l'écrasent plus aussi facilement maintenant qu'elle a grandit. L'enfant se perd dans son ombre, elle contemple et guette. Une lueur. Une étoile dans le ciel ? Rien d'autres que l'obscurité grisâtre des nuages qui s'amoncellent dans la pénombre de cette nuit sans charme. Une nuit à Tsel.

Perdue, triste car comme toujours après l'espoir c'est le coeur qui se brise comme le ferait la glace sous le poids trop lourd de la vérité. Les étoiles ont rejoint le soleil.

Est-ce un flocon de neige qui glisse sur sa joue ?

Il était
une fois de plus la déception.

Chut.
C'est le craquement de la neige. La menace grandissante. La mort qui s'approche. Et qui effleure de son doigt glacé ton échine qui se tend, cambrée. C'est la brise si vive qui te coupe le souffle et t'empêche de te retourner. Pour l'observer. La panthère qui s'approche. La rose meurtrière. La petite fille un peu dingue.

Un peu lasse.

Une voix ou deux dans les ténèbres. Le rire du Diable. Celui qui effraye les pauvres gens. Qui les mettent à genoux de prière. Qui de ces lèvres gercées attirent les suppliques. Chut. Ne te retourne pas encore. Tu la laisserais gagner. Mais qui ? Que quoi dont où

Derrière toi

C'est un éclat de couleur et la chaleur du corps. Un soleil humain dont la prunelle argenté fait honte à la lune. Tu peux te cacher sous le sein de la Mère nourricière. Tu peux chanceler. Vois tu Estëe tu peux même avoir peur. Cela t'es accordé. Mais non tu préfères encore la dignité. Et la curiosité. Qui

Parle derrière toi.

Celle qui te ramène sur terre. Celle qui pourrait posséder n'importe quelle arme. Une ceinture à boucle d'argent. Celle qui pourrait faire trembler les pierres. Celle dont la méchanceté se ressent sans que le regard ne l'atteigne. Celle qui semble...

Perdue.
Éperdue.

Dédoublée l'enfant sage qui jouait à la poupée. Voilà Mrs Hyde qui sourit de toutes ses dents. C'est pour mieux t'égorger mon enfant. Elle lui parle. Elle se parle. Elle parle à une ombre qui peine à se décliner dans la faible lueur de cette ruelle oubliée. Les lumières ont disparu. Oui, ça on le sait.

Disparues à tout...
A l'heure ?

C'est la brise qui agite ses cheveux et le font voler dans le froid de décembre. Je suis une petite fille aux allumettes. La dernière vient de s'éteindre tout comme le rêve qui disparait. Et de ma voix d'enfant sage je réponds simplement

"Pourquoi ?"

A ta question. Une question par une question. Peut-on conclure un marché ? Apprends moi encore la peur. Et moi je te raconterais une histoire. Celle d'une princesse aux milles princesses. Celle d'un songe que tu as certainement fait. Ne laisse pas encore le sang glisser sur la neige. Blanche ô si Blanche Neige écoute moi. Et ta main laisse la se faire douce pour qu'elle rencontre la mienne.

Je te salue étrangère.
D'un discret regard en coin.

L'on me nomme parfois pudeur parfois timidité. Moi je me surnomme respect. Et dans cette nuit glaciale je vais te faire découvrir ce qui bat tout chaud en ton sein. C'est un coeur que tu partages mais qui est tout de même tiens. Ou est ton ombre très chère enfant ? Dis lui de se taire. Un doigt posé sur ta bouche.

Moi je ne bouge pas.

C'était un jeu et elle devait fermer les yeux.

Compte jusqu'à trois, fais un tour sur toi-même et attrape moi. Je suis plus forte que toi. Ne le comprends tu pas ? Mais je comprends trop bien comme tu es triste...

Comme les aiguilles d'une montre. Temps qui fatalement s'écoule. De secondes en secondes. Quand frappera-t-elle ? Attendre le compte à rebours. L'écouter parler dans un tic tac lancinant. L'horloge ? Les battements de son coeur. Mais elle garde son calme. Vraiment ?

Oui le vrai ment
Et son souffle perceptible dans la pénombre se coupe.

C'est l'ombre qui parle. Si elle était restée dans sa maison elle n'aurait fait que rêver. Mourir ne lui fait pas vraiment peur. Plus vraiment. Vit-elle aujourd'hui ? A taire ses écrits et ainsi son âme. Elle ne s'ennuie que pendant la pluie. Même les larmes de Tsel sont acides. Bienvenue au pays des fous toi l'Alice sanguinaire.

Sinon tu ne serais pas ici...

Et cours Estëe. Enfuis toi dans la neige. Envole toi comme un flocon. Pour mieux retomber à terre. C'est un doigt sur sa joue. Et mon dieu comme cette petite fille est belle. Puis-je lui raconter une histoire ? Repose en paix. Tu vas mourir ce soir mais tu n'as plus à pleurer. Pourquoi prendre peur quand tout est déjà décidé. Je voulais juste rêver murmure son souffle. Je voulais juste...

Sourire.
Souris.

Prise au piège. Les griffes du chat. C'est la froideur de la neige ? Peur éternelle. Je fais le voeu... de quoi ? Survivre ne l'intéresse pas. Et si elle ne court pas c'est qu'elle est tétanisée. Pauvre Estëe. Charmante Estëe. Reste. Souris. Mais l'enfant est repartie. Orpheline de ce monde.

Maman j'ai peur.

Pitié. Pieté. Et sagesse enfantine. Plie correctement ta serviette. Tiens toi droite. Ne joue pas ainsi. Ne parle pas comme cela. Fais ci fais ça. Quand le monde devient fou les enfants sont des marionnettes. Marche au pas. Militaire. Existence orchestrée.

Elle l'attrape et la rejette. C'est un bal incessant. Et la musique dans sa tête. Tournoie encore sous la neige. Eclat de rire des lucioles loin au loin oh loin si loin encore plus fort. C'est une torture non ? De savoir que l'on va mourir...

Mais quand ?

Elle tourne. C'est un drôle de manège. Pourquoi elle ? Pourquoi ? Toujours pourquoi ? Ce sont des questions d'enfant. Mais... je suis une enfant. Tu as découpé ton coeur au couteau. Tu as découpé ton âme en petit morceau. Et ces morceaux rient. Et ces morceaux crient.

Non
Oui
Maintenant
Attends
Chut

"Tu aimes danser ?"

C'est comme si les mots existaient. Dans la buée ils s'envolent. Estëe les suit du regard. Elle n'attend pas vraiment de réponse. Les flocons sont si doux malgré la glace. Eux. Et la lame qui scintille au

Je t'aime.

Yeux fermés pour l'éternité. Et que sais-je encore. Mourir ce soir importe peu finalement.

Bienvenue au cirque de rouille.
C’est la mort qui vous parle.
Je vous emmène pour un voyage qui vaut le détour.

Te souviens-tu de ce conte dont j’ai parlé Estëe ? La petite marchande d’allumettes. Tu vas mourir dans la rue comme elle autrefois. Dans des temps anciens et merveilleux où les fins ne sont pas toujours heureuses. Pique toi le doigt sur la pointe de sa lame. Et endors toi pour l’éternité.

Je veillerais sur ta tombe. Je laisserais les flocons coudre pour toi un linceul si blanc que les anges te jalouseront. Et quand le soleil reviendra mille fleurs étranges des roses peut-être pousseront. Nourries par ton corps elles s’élèveront jusqu’au ciel pour chanter tes louages.

C’est un dernier testament.

Écoute ce lancinant requiem. Déjà l’enfer s’ouvre sous tes pas. Ou bien est-ce cette jeune fille qui se jette sur toi. Et tu tombes lourdement. La froideur de la neige raidit ton corps et tes yeux s’ouvrent. Le ciel est si noir et pourtant tu les vois. Les Étoiles. Qui tournoient dans ta tête comme mille danseurs au bal des fées.

Je voulais juste retrouver mon chemin. Ce n’est pas la boucle d’argent qui jette un éclat glacial à côté de ton visage. C’est le couteau qui se plante dans la neige. Et tu te demandes où est le sang. Son sang. Mais la neige saigne-t-elle ? Une goutte d’eau dans ton cou. Un nouveau frisson. La mort te sourit.

A Dieu les plaintes et les regrets.
Adieu la vie et les histoires.

Corps chaud qui l’enfonce dans la neige. Et lentement elle écarte les bras. Ferme à nouveau les yeux. Comme une offrande à sa lame. Ou bien simplement veut-elle dessiner un ange dans la neige. Ses bras s’agitent doucement. Même quand la glace se glisse dans l’échancrure de sa robe. Même quand ses doigts gelés ne bougent plus. Même si elle devient aveugle tant son souffle au rythme fou se charge de buée.

Comme un enfant qui observe les nuages.
Et la chaleur du sang. Une autre petite fille si belle qu’on a voulu la tuer.

Un simple cadre d’ébène. Une goutte pourpre sur la neige. J’aimerais un enfant… Un enfant si beau qu’il devra mourir. A-t-elle parlé à haute voix ? L’enfant rit soudain.

Liiiisaaaa…
Danse avec moi. Allonge toi à mes côtés et dessine un ange toi aussi.

C’est si simple.

Et si tu n’entravais pas mes jambes je le terminerais. Il manque l’auréole mais Est-ce que je la mérite ? Le soleil est mort et Dieu s’est endormit sur son œuvre.

Piètre créateur.

"J’aime danser. Mais je préfère écrire des histoires."

C’est la dou-leur.
Doux leurre.

Je ne m’y trompe pas, ce n’est pas vraiment toi. Il y a une ombre sur ton visage que je contemple avec indifférence. Tu peux me tuer si tu le désires. Tu te lasseras avant que je n’expire. Ce n’est qu’un corps qui tremble de froid et non de peur. Le sang tâche la neige et tu l’observes. Aimes-tu ce tableau ?

Veux-tu encore une fois goûter à la mort ?

Penche toi sur mon sein. Pose ton oreille sur mon cœur. Il est si affolé qu’il ressemble à l’oiseau prit dans la tempête qui cherche en vain à sortir de sa cage. Libère moi. De toi ou de ta lame. Je n’ai que faire des raisons qui te poussent à agir.

Je danserais avec toi.
Je te prendrais dans mes bras.
Sinon tu ne serais pas ici.

"Regarde il neige..."

Les flocons tombaient lentement du ciel. Comme des baisers qui se posent sur son visage. Estëe leur sourit avec une étrange douceur. Et la jeune fille sur elle qui se repose enfin. Ses ailes redeviennent bras et elle l'enlace. Sa main se perd dans ses cheveux. Contact si doux. Comme une poupée qu'elle sert contre son coeur. Elle la sent respirer. Son rythme se calme au sien. Cela lui fait oublier le temps.

Un rien lui fait oublier la vie.

Elle préfère rêver. Elle envie la belle au bois dormant. 100 ans de songes. Cela serait un vœu à réaliser. Rêve-t-on lorsqu'on meurt ? La lame git à leurs côtés. Mais ce n'est qu'une pensée fugace. Un courant d'air dans son esprit. Les flocons tourbillonnent. Une danse pour chaque chose. Sa main se fait guide. Elle orchestre ce ballet incessant.

Un deux trois.
Un deux trois.
Nous irons...

Hautbois. Violons. Lyre. Flûte. Elle semble entendre la musique. Existe-t-elle vraiment ? Danse-t-on dans un salon ? Les demeures se dressent jusqu'au ciel. Et le gris disparait sous la neige. Mystérieux pouvoir. Elle aimerait rester ainsi jusqu'à l'aube. Une aube nouvelle. Mais ses dents claquent. Castagnettes. Le corps de la jeune fille la réchauffe à peine. Elle sent une étrange torpeur l'envahir.

La mort n'a pas le visage d'un enfant.
C'est la dame des neiges qui l'emporte sur son traineau.

Elle n'a pas mal. Anesthésiée. Le sang peut encore couler. Elle ne le sent plus. Son souffle se ralentit. Elle peut bien s'endormir. Un tout petit instant. Juste fermer les yeux. S'abandonner aux bras qui l'étreignent. Son corps se fait plus lourd sur la neige. Elle craque sous son poids. Il y a des éclats d'argent dans ses cheveux. Cela doit être si beau à voir.

C'est pour cela qu'elle se redresse ?
Pour mieux la voir ?

Ou bien ce sont encore les cris. Les gémissements plaintifs. Même si son regard se voile elle la voit encore. Se tenir la tête comme si elle suppliait que l'on s'arrête. Mais ne combat pas. Écoute. Cela se perd de nos jours. On bouscule et on ne s'excuse pas. Nous devenons les malentendants d'un monde chaotique. Qui prête attention à son prochain ?

Qui fait face à son reflet ?

Elle chancelle et se perd dans son propre labyrinthe. A la recherche d'une réponse qui tarde à venir. Que se passe-t-il ? Pourquoi as-tu si mal ? Que s'est il passé seigneur pour que tu souffres ainsi... Je raconte des histoires. Mais toi tu peux me souffler ta vie. La vie. N'est ce pas le plus fantastique et le plus inattendu des contes ?

Enfin.
Enfin te voilà.

"Je suis... Comment vas-tu ?"

Comme elle est heureuse. Comme elle est merveilleuse. Ses yeux comme des rayons de soleil. Sa voix comme la chaleur qu'il procure. Ce n'est pourtant pas de la magie. Mais Estëe reste fascinée. La joie. Si rare qu'elle a envie de la tenir au chaud dans ses mains. Pour ne pas qu'elle prenne froid. Elle n'a pas de châle. Elle n'a pas de manteau. Alors ses ailes se referment sur l'enfant. Et elle la berce tendrement.

Je serais ce que tu voudras.
Une conteuse une mère ou une simple inconnue.

Douce nuit. Sainte nuit.

Repose contre mon sein mon enfant. Laisse moi te caresser les cheveux ma chérie. Seigneur tu dois être tant fatiguée. Je vais t’aider. Je te le promets. Tu peux fermer les yeux. Tu peux même t’endormir. Cette étreinte ne faiblira pas. Nous reposerons dans cet écrin de pureté. A ton image. La joie suffira comme seul soleil.

Un seul bonheur.
Un seul sourire.

Et je me sens tout simplement bien. Oubliée la lame dans ta main. Oubliée la colère des naufragées incomprises. Laisse toi bercer au rythme des flocons de nuit. Le divin enfant laisse les lucioles s’envoler. Et nous laissons dans les airs se dessiner notre souffle. La paix. C’est le seul vœu que j’ai formulé.

Et je reste là.

Elle pouvait même mourir. Ce n’était plus vraiment important. Les flocons retombaient vers la réalité. Au rythme des battements de son pauvre cœur. Le silence de la nuit. Et la beauté éphémère d’une étreinte. Cette enfant désire simplement le bonheur. Et elle n’est pas la seule. Les cruautés ne sont qu’un cri libérateur.

Un salut personnel.

Mais désormais elle était là. Ne serait-ce qu’une heure. Pour poser une main dans ses cheveux. Lui chuchoter des contes fantastiques. Quand les mille princesses ne deviendront plus qu’une seule et merveilleuse reine. Cette enfant est une luciole. Mais elle tremble de froid Estëe. Alors elle la réchauffe d’un baiser.

La belle au cœur dormant. Tu n’es cruelle que face à ton miroir. Tu es triste quand tu te croises dans son regard. Mon ange qui se relève. Mon ange qui me relève. Mon ange qui nous emporte. Suis moi au pays imaginaire. Là bas nous pourrons continuer à grandir. Mais il n’y aura pas ces mots comme une lame dans la nuit.

Tu souris enfantine.

Tu ris avec tes yeux. Douce nuit. J’ai froid. Cela n’a pas d’importance. Entrecroisant nos doigts. Laissant notre empreinte dans ce monde. Comme la silhouette d’un ange dans la neige. Cela finira par disparaître. Mais nous serons assez loin pour nous en moquer. Où allons nous ?

C’est toi qui semble la guider. Mais personne n’est dupe tu sais.

"Nous pourrions chercher les autres. Mais ils doivent se cacher. Ils se cachent toujours quand vient la nuit. Ils préfèrent les protéger… Alors que penses-tu d’une demeure d’enfant sage ? Je laisserais la reine des neige te chuchoter ses histoires."

Maman. C’est un modèle que je reproduis. Je me fais le guide d’une enfant orpheline. Elle a perdue quelque chose. Je vais l’aider à le retrouver. A se retrouver. Et je vais te retrouver. Dans mes gestes. Dans mes paroles. Dans tout ce qui fait que je suis ta fille.

C’est sa main dans la sienne. Et un étrange sentiment de mon cœur. Comme une responsabilité divine. Comme si je protégeais un ange. Comme si j’étais capable de soulever des montagnes. Comme si j’étais là seulement pour elle. Existence unique bien aimée.

Bienheureuse.
Fais le bien autour de toi Estëe je t’en prie.

Repose en paix maman. Je te retrouve dans les pas que je laisse derrière moi. Dans cette signature. Une trace dans le monde qui disparaîtra bien vite. Mais dans le cœur des gens se cachent les braises étouffées. Des amours d’enfant sans importance pour certains.

Comme c’est triste.
Tristement réel.

Je me sens capable de tant de choses. Ce n’est plus une histoire qui s’envole vers les étoiles. Ce n’est plus une quête ce soir. Les étoiles je les ai trouvé. Elles se trouvent au creux de cette paume qui se lie à la sienne. Pomme d’amour. Amour filiale. Je serais…

Tienne.
Tout simplement.

"Comme c’est triste…"

Et cours Estëe. Cours avec elle. Sous la neige. Sous la vie. Protège toi des mauvaises pierres. Des insultes de ces pauvres gens. Du regard de ton père qui n’a pas comprit. Cours plus vite pour rattraper le temps. Pour rattraper le soleil qui disparaît à l’horizon.

"L'histoire n'a pas besoin de demeure. Nous pourrions nous reposer contre le mur glacé d’une chaumière aux chandelles éteintes. Je les rallumerais pour toi. Il te suffit juste de rêver. Mais tu risquerais de ne plus te réveiller…"

Mais serait-ce si triste Estëe ? Perdrais-tu courage pour un rêve éternel ? Pour un vœu que la mort seule pourrait exaucer ? Les chimères dans ta tête ricanent de ta niaise imbécillité. Mais tu les ignores comme tu les as toujours ignoré. Tu sais que tu peux créer des lucioles.

Tes lucioles Estëe.
Tes si imprévisibles lucioles.

Ma fille mon enfant. Il me semble que cela fait longtemps. Trop longtemps. Que tu m’attends. Attends. Ne sois pas trop pressée. Nous avons tout notre temps tu sais. Nous pouvons prendre une vie entière pour regagner ta chambre. Cela n’a pas d’importance.

Le lieu. L’heure. L’âge. Le changement. Les amours. La paix. La réalité. Tes sœurs invisibles. Tes larmes secrètes. Tes rires. Tes espoirs. Tes yeux grands ouverts. Tes oreilles attentives. Tes questions sans réponses. Pour toi. Nous prendrons le temps qu’il faudra.

Comme si le temps se laissait posséder.
Mais ceci est une autre histoire.

Elle la guide sur un sentier que l’enfant ne connaît pas. C’est Sophie qui découvre le chemin de travers étrangement cahoteux menant vers le paradis. Les épreuves et les mots justes. Les cris et les rencontres. Les lames effilées, meurtrières glacées de neige. Les ombres mon enfant. Elles te guettent et t’en-

Nuit.
Nuit écrasante étouffante meurtrière.

Et les cauchemars disparaissent. Et les mères ne sont plus des marâtres un peu sorcières. Silhouettes qui rôdent. Lutins ricanant, passant de mur en mur. Guettant tes moindres faits et gestes et soupirs et paroles et. Vivre, le peux tu encore ?

Tu sais Médéa les mères savent faire tourner le monde.
D’un baiser papillon.

Frissonne encore. Ressens la vie au fond de toi. Les douleurs de tes mains ankylosées. Et ton corps alourdi d’une fatigue enfantine. Ressens les larmes sur tes joues. Les deuils à venir. Les cœurs battant. Les cœurs courageux. Et je te retiens.

Je m’enfonce dans la neige. Mais je te retiens. Je suis un arbre dont les branchages sont des lits de repos pour les fins d’après midi. Et les rayons du soleil filtrent à travers mon feuillage. Sur mes feuilles sont gravées les histoires du temps

Coup de feu.
Et la colombe chantante retombe dans un nuage écarlate.

"Parce que les adultes se doivent d’avoir toujours raison."

Et toi ? Tu sais bien que ce n’est pas une question de gentillesse. Tu as bien essayé. De leur parler. De leur montrer les choses dans ta tête. Et puis ils ont cassés tes crayons. Ils t’ont regardé avec un sourire un peu triste. Et ils avaient encore raison quand ils t’ont dit d’oublier.

Oh non ce n’est pas une question de gentillesse. Parce que tu as été sans doute la plus gentille des petites filles. Parce que tout ce que tu voulais c’était leur sourire juste après. Mais l’après n’est jamais venu. Et ils ont appelé ça normalité. C’est comme ça.

C’est comme si c’est comme ça.
Tais-toi et écoute, nous on sait.

Nous. Ce nous magistral qui sonne comme un miracle. Qui ouvre les portes de la réalité. Ils bombent leur torse, elles défroissent leurs robes. Et ce sont les adultes les grands les modèles. Et maman ? Maman est devenue un rêve.

Et si elle était là parmi nous dans la réalité…
Peut-être sans doute forcément cela n’aurait rien changé.

Elle tourne la tête vers cette enfant. Et il fait trop froid pour pleurer. Non rien n’aurait changé. Mais le rêve persiste présent dans son cœur seul. Et quand elle ouvre la porte de son imagination éreintée d’une journée d’incompréhension elle est heureuse de le retrouver.

Le rêve qui demeure dans la tête d’une demeurée aux espoirs démesurés.
Mais ça semblait si simple…

"Je viens. Et je ferais très attention."

A marcher à pas de loup pour ne pas la réveiller. Le chaperon rouge. Sang. Rouge sang comme une rose meurtrière qui guette. A marcher à pas de loup en se glissant dans les ombres. A parler tout bas si bas qu’on ne s’entend pas. Apprendre à se taire, « pour une fois ».

Il était une fois.
Et ses yeux se détournent, presque de honte.

Le guide pour une fois se laisse emporter. Et dans sa tête il y a une femme qui chante. Une femme qui danse avec un pauvre balais. C’est une vision pitoyablement risible de la réalité. Un joli conte de fée. Mais dans Cendrillon on se coupe les pieds.

Elle manque de se tordre la cheville sur une plaque de glace.
Ca devrait être un signe mais elle le laisse derrière elle, comme ses idées.

L’enfance.
Merveilleuse enfance.

Courir dans les rues enneigées sans crainte de tomber. S’envoler au rythme du vent. Découvrir son nom dans les tempêtes que craignent les gens. Sublime enfance. Qui offre la tendresse comme on offre un regard. Sans penser aux conséquences. Pour une seconde d’allégresse. Pour une seconde d’humanité.

Estëe…
Estëe…

chuchote le vent maternel. Le vent glacé qui caresse sa peau. Qui dépose des baisers de neige sur sa chevelure. Voilà que le temps recommence son ouvrage. Le temps file le froid comme un tueur de pauvres gens. Il y aura des statues de givre à l’aube, penses-tu. Il y aura des larmes glacées comme autant de lacs salés. Il y aura des ombres demain.

L’enfant. Cette étreinte tu la lui rends. Un baiser malhabile. Tu sembles avoir perdu la main. Mais ton corps se rappelle. Des courses effrénées. Les nuits qui se succèdent à la lumière d’une chandelle. La flamme surnommée paix ou bien amour. La flamme que tu protèges d’un regard effrayé. L’enfance sait écouter les histoires. L’enfance est une scène pour les jeux d’adulte.

Estëe…
Était…

Une enfant parmi tant d’autres. Une enfant de pauvres gens. Une enfant de théâtre. Une enfant de jardin. Cultivée avec grand soin. Les livres sous ses draps. Et la plumes si douce tapotant ses lèvres. Estëe fut une fois une histoire non terminée. L’histoire sans fin d’une petite fille qui grandit encore. Qui court encore dans les rues. Qui glisse telle une danse imparfaite.

La main perdue dans celle de l’enfance. L’hiver est venu pour moi. L’enfance s’arrête soudain. Chassant les mauvais rêves et les mauvaises idées. Sa main glisse loin de la sienne. Un départ qui la déchire un peu. Une couture accrochée aux ronces du temps. L’hiver se moque d’elle. L’hiver ne semble pas comprendre ce qui la retient. Mais ce n’est plus l’enfance.

Et maintenant ?
Que chuchote le vent ?

Une fleur éclot. C’est une survie. Une ardente chaleur. Un espoir. Les yeux se tournent vers elle. Semble la saluer respectueusement. Et elle s’incline Estëe… Estëe… chante le vent. Tu viens de te faire piéger. Voilà la crevasse mortelle. La tueuse des innocents. La lame glacée dans sa main gracile. Voilà le crime. Voilà le danger. Voilà le pêché.

Qui lui parle comme enivre le serpent de l’Eden. De douces paroles. A-t-elle oublié ? As-tu oublié ? Le sang perlant à ta gorge. La morsure soudaine de la cruauté. As-tu oublié ? Quand les secondes s’étiraient sous la neige. Transformée en fatale éternité. Tu gisais dans un manteau de neige. Tu étais à sa merci. Et de la pitié elle n’en savait rien. Comptes-tu oublier ?

Oublier n’est pas le verbe qui convient.
Quand elle cherche la rime en lui tendant son bras.

"L’idée n’est bonne que si cela vous rend heureuses."

Vous toutes. Le jardin florissant au creux de ce cœur brisé. Vous toutes ignorées. Des milliers de cris étouffés. Je tends l’oreille mais ne peut les percevoir. Où vous cachez vous ? Quand je prends votre bras. Quand je ne vous quitte des yeux. Où vous cachez vous ? Percez la neige. Apparaissez au grand jour. Au jour des étoiles de cette nuit glacée. Apparaissez.

Raison. Raisonnable.
Vos raisons. Regard insoutenable.

Deux vieilles amies qui ignore bien nombre de chose. Peut-être la sagesse. Peut-être oublier. Peut-être pardonner. Elle n’y pense plus Estëe… Était… comme une enfant innocente. Une jeune femme blessée. Les cicatrices sur ta poitrine. Et les morsures sur tes lèvres. Le vent t’embrasse pour te donner courage. Mais tu n’en as nul besoin.

Tu préfères sourire.

L’enfance donne de la tendresse. L’enfance donne de l’amour. L’enfance peut le reprendre d’un cri. D’un regard blessé. L’enfance peut tout donner. L’enfance peut tout détruire. Mais il ne se détruit pas. L’enfance reste dans le cœur des gens. Comme un souvenir triste. Comme une nostalgie oubliée. On pardonne tout au temps. On pardonne peu à l’enfance.

Cela arrive parfois quand la tristesse se fait vague.
Quand les cris se perdent en son sein tels une bouteille à la mer.

Mais je suis là.

Comme la maman d’un soir. La maman de la nuit. La mère de la neige. La mère des choses inexistantes. La mère de vos cris déchaînés. Je vous écoute pour ce soir. Et que la nuit entière vienne frapper à notre porte. Sous cette cabane je prierais le temps de nous laisser en paix. Je soignerais l’enfance comme une griffure de ronce.

Je vous aimerais.